Phèdre de Racine: Tirade de Phèdre de l'acte 1 scène 2
Pour approfondir l'analyse du texte que j'ai faite ce matin avec vous en classe, vous pouvez lire le commentaire suivant qui se présente sous la forme d'un plan détaillé.
Une présentation video très claire
La scène jouée par Dominique Blanc dans la mise en scène de Patrice Chéreau
Une présentation video très claire
La scène jouée par Dominique Blanc dans la mise en scène de Patrice Chéreau
Cette tirade est un
récit analytique. Elle raconte les étapes de la passion de Phèdre, avec pour
dessein d’expliquer dans quel état elle est :
un coup de foudre (v 269-276), associé à une
malédiction (v 277-278)
une lutte inutile par des moyens religieux (v
279-290)
une lutte par des moyens humains :
persécutions, exil, soin de son mariage (v 291-300)
un coup du sort : le retour d’Hippolyte,
accroissant le mal de Phèdre (v 301-307)
un retour sur l’aveu à Œnone, fait au bord de la
mort (v 308-316).
L’amour comme un mal:
1) Les manières de nommer
l’amour :
-dans ce qui précède, Phèdre a le plus grand
mal à dire qu’elle aime – la difficulté n’est pas seulement sur le nom
d’Hippolyte, mais aussi sur le nom à donner à ce sentiment. Cf v. 249-262. Elle
finit par dire « J’aime… »
Dans l’extrait
étudié, l’amour est associé à la maladie :
« Mon mal » v 269
« incurable amour » v 283
Racine emploie la
métaphore du feu, absolument usuelle ; elle prend ici où là une couleur
nouvelle, par l’ambiguïté entre la chaleur de la fièvre, de la maladie, et
celle de l’amour.
« une ardeur dans mes veines
cachées » v. 305 les « feux redoutables » de Vénus, v. 272.
« ma flamme » v. 308
v. 310 : l’oxymore : « une
flamme si noire. » Le rouge du sang, couleur de la passion, cohérent avec
la métaphore ; le « noir » évoque la maladie, cf le pus
noir des pestiférés.
au v 316 : « un reste de
chaleur » désigne explicitement sa vie qui fuit, comme consumée par le mal
d’amour.
à la blessure :
v 304 : « ma blessure trop
vive aussitôt a saigné »
L’amour de Phèdre
est aussi un crime : v. 307 : « mon crime ». P a déjà employé le mot (v 241)
+ v 298 :
« Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence. »
Il y a une dimension
de plus : la maladie n’engage pas la volonté, le crime, si. Or son crime
n’est pas un acte extérieur, puisqu’elle a toujours refusé son amour. Il est
dans la pensée même.
= division extrême
de Phèdre, dans ses sentiments, mais aussi dans sa volonté.
2) L’évolution de cet amour est
celle d’une maladie grave :
-déclarée soudainement, par une crise aux symptômes physiques très
vifs : v. 273-276.
-remèdes impuissants, mal croissant (c’est
l’obsession) v 286-290.
-une pause, comme une rémission, par
l’éloignement d’H ; le mal ne disparaît pas : « mes jours moins
agités » ; « cachant mes ennuis » (v 298-299).
-un retour plus violent lorsqu’elle le
revoit : v. 305-306.
3) La malédiction de Vénus :
Phèdre est, comme
dit un vers célèbre de la pièce (v 36) :
« La fille de Minos et de Pasiphaé ».
Pasiphaé
est fille du soleil. Or le soleil dévoila les amours de Vénus et de Mars à Vulcain, qui les prit au piège. Vénus
maudit sa lignée ; Pasiphaé, sous l’action d’une vengeance de Poséidon (et
de Vénus, selon les auteurs) tomba
amoureuse d’un taureau blanc, dont elle eut le minotaure. Phèdre est toujours
sous le coup de cette malédiction. Euripide, dans le prologue de sa tragédie Hippolyte, représente Vénus maudissant
Phèdre.
Vénus et sa « haine »
apparaissent dans la scène, avant l’extrait, avant que l’amour soit
nommé : v. 249-256,
Phèdre l’associe à
chaque femme de sa famille : sa
mère, sa sœur, puis elle-même.
v. 278 :
« Je reconnus Vénus »
+ tentatives vaines
pour apaiser la déesse.
v. 306 :
« C’est Vénus tout entière à sa proie attachée. »
métaphore de la
lionne.
Cf le vers d’Horace.
/ malédiction
associée à un destin.
v. 300 :
« de mon fatal hymen »
v. 301 :
« cruelle destinée ! »
L’idée d’une
persécution divine assure que l’action humaine est vaine, quelle que soit la
détermination de Phèdre.
Ce thème est très
proche de lectures que l’on fait aujourd’hui de la tragédie : le sentiment
tragique vient de l’écrasement du personnage par des forces qui le
dépassent. Ici, elles sont ensemble
psychologiques et religieuses.
Cf le vers
306 : ambiguïté entre la déesse et l’animal : c’est soit au-dessus,
soit au-dessous de l’humanité, mais dans les deux cas, plus fort que l’humanité
commune.
4) La fureur(folie) amoureuse :
Phèdre
divinise Hippolyte : à la place du culte à Vénus,
v 286 « J’adorais Hippolyte »
v 288 « J’offrais tout à ce Dieu que je
n’osais nommer »
Elle n’ose le
nommer, par honte pour son amour, et aussi, parce que c’est un blasphème que
lui offrir les sacrifices voués à Vénus (le nommer dans cette tirade, à cet
endroit, est au contraire un acte de vérité, qui demande un certain courage).
Cette divinisation est associée à des
hallucinations : v. 286-287 : « et le voyant sans cesse »
Rendre ainsi à un mortel ce qui appartient aux
dieux est une des fautes majeures pour les Grecs, l’« hybris »
(prononcer « hubris »), ou démesure, l’orgueil du mortel qui s’égale
aux dieux. C’est un trait de folie.
Phèdre
le dit plus loin avec un terme chrétien :
v. 294 : « l’Ennemi dont j’étais l’idolâtre » :
l’idolâtre rend aux idoles, aux faux dieux, le
culte dû au seul vrai Dieu.
C’est un terme fréquent du langage amoureux de
la tragédie (CfCorneille, Cinna, III,2 :
« Mais, hélas! j'idolâtre Émilie »). Ici, il retrouve son
sens originel.
Phèdre viole
une autre barrière : elle retrouve Hippolyte dans son époux Thésée, (et
lorsqu’elle voit son époux, retrouve du coup son amour incestueux pour le fils
de Thésée) : v 289-290.
Lorsqu’elle avouera son amour à Hippolyte, elle opérera cette même confusion
(II,5, v 634 et suivants).
Elle le voit
au temple, dans Thésée : c’est une obsession, autre trait de fureur.
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