Le Titre de la pièce Dévaste-moi

Version chantée par Brigitte Fontaine

DÉCRYPTAGE DU TITRE.
C’est un titre étrange, tout autant que la chanteuse qui l’interprète : Brigitte Fontaine. On conjugue peu ce verbe (Je dévaste, tu dévastes) ; moins souvent encore on ordonne de se faire dévaster ! 

Paroles
 Dévaste-moi
Essouffle-moi
Envahis-moi
Et pille-moi
Dépense-moi
Gaspille-moi
Saccage-moi
Dilapide-moi
Lapide-moi
Et râpe-moi
Liquide-moi
Émiette-moi
Ravage-moi
Et presse-moi
Et puis broie-moi
Et puis noie-moi
Et puis bois-moi
Écaille-moi
Colonise-moi
Piétine-moi
Déglutine-moi
Extermine-moi
Écrase-moi
Délabre-moi
Ratisse-moi
Corrode-moi
Démantèle-moi
Désintègre-moi
Massacre-moi
Écrabouille-moi
Mais c'est qu'il le ferait la brute !


Déjà, le verbe "dévaster" a à voir avec le territoire, le lieu, l’espace. En général on dévaste une terre, pas un être humain. Dans notre usage, on utilise souvent le verbe au participe passé : on dit d’une terre qu’elle est dévastée par la guerre, par un cyclone. C’est par glissement métaphorique qu’on dira qu’on est dévasté par une perte, un deuil ou un chagrin d’amour. Ainsi, on n’agit pas une dévastation, on la subit. Dans la logique de Brigitte Fontaine, la dévastation résonne comme un ordre, une injonction amoureuse qui est aussi une injonction paradoxale : la destruction est la condition de la jouissance. Derrière la recherche du plaisir il y a la condition morbide de sa destruction.
Le choix du titre contient un des enjeux du spectacle qui serait d’évoquer à travers le dessin de tableaux successifs un portrait de la Femme. Il évoque le corps féminin à la fois comme désir et Territoire de possession. En cela, il résume l’ensemble des thèmes abordés dans le répertoire sélectionné par Johanny Bert : le corps désiré, aimé, érotisé mais aussi le corps dominé, malmené, violenté, instrumentalisé...
Emmanuelle Laborit chansigne l’expression « Dévaste-moi » en balayant violemment son corps avec ses mains le long de ses flancs puis en les remontant par-dessus les épaules. Par ce geste, elle désigne son corps comme espace de jeu, creuset du spectacle et de son message. Elle montre comment son corps est tout à la fois espace d’expression, d’émotion et de lecture.
Dévaste-moi désigne ainsi peut-être l’engagement total de l’actrice en scène qui dit à son public : « Ordonnez-moi de me dévaster pour vous ! » 



Cette chanson dont le spectacle porte le titre arrive très tardivement dans l’économie du spectacle. Non seulement le spectateur ne l’attend plus - comme dans les conventions du concert on attend le « tube » - mais surtout son interprétation vient, de manière radicale,
bousculer les conventions scéniques que le spectacle a établi jusqu’à présent avec le spectateur.
Plus de musiciens pour tenir la mélodie, Emmanuelle Laborit est seule face au micro. Le costume est sobre. L’espace du concert semble s’être dissolu dans le noir. La musique jusqu’alors omniprésente s’est tue. La surprise surgit lorsqu’on découvre qu’en même temps qu’elle signe Emmanuelle produit des sons. À chaque impératif – Dévaste-moi, Éssouffle-moi, Envahis-moi- elle produit à la fois un signe et un son transformé, amplifié par un effet technique généré par le micro. Ainsi, naît le son-signe. La chanson de Brigitte Fontaine surtitrée en caractères géants résonne dans la salle ; pour la première fois le corps se fait entendre. Guttural et magnétique, il a pris la place des musiciens et avec eux celle du monde des entendant qui se sont tus. 

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