Dévaste-moi, un spectacle qui brouille les codes



À première vue, Dévaste-moi repose sur les conventions classiques d’un concert :
- L’espace scénique, une petite scène noire en trapèze autour de laquelle les musiciens ont pris place.
- Des rideaux de scène faits de filets noirs, de voilages pour jouer avec les apparitions.
- Des intermèdes « parlés » entre chaque morceau qui assurent la transition et la communication directe avec le public.
- La pause attendue où l’artiste se retire en coulisse et laisse la place au solo des musiciens.
- Un générique qui présente l’équipe de musiciens. Une série de rappels, un salut, puis encore un salut...
Seulement, la présentation des musiciens vient très tôt, dès la troisième chanson et c’est surtout un générique qui les présente quand l’interprète vient de s’absenter. L’intermède joué par les musiciens est une représentation inédite : ensemble les 5 garçons forment un chœur de corps – une sorte de chœur-corps - ils gestent, sifflottent, bruitent la mélodie de Jolie Mômede Léo Ferré.
L’intermède se réinvente au contact inspiré de la langue et du chansigne. Emmanuelle sort de scène et parle en coulisse ; des sous-titres s’affichent alors qui la tiennent omniprésente sur scène. 

Le spectacle s’amuse ainsi à déjouer les conventions : le concert déconcerte ; le tour de chant se détourne d’abord pour obéir à la contrainte des différents publics signants et non signants, entendants/non entendants, ensuite pour inventer un langage scénique inédit fondé sur l’infinie exploration des possibles entre langue des signes et langage scénique. 

 Le Delano Orchestra est une formation musicale qui est connue pour l’indépendance et la singularité de son rock mélancolique à la puissance intimiste. Pour la première fois, le groupe propose un travail de réorchestration à partir d’un répertoire sur lequel on l’attendait peu : la chanson française et la pop. L’originalité des choix de l’interprétation doit s’ajuster à cette contrainte : la musique doit avant tout assurer la ligne mélodique, le lead, à la place de la chanteuse. Le plus souvent le violoncelle et la trompette assurent cette fonction. 
 
Emmanuelle Laborit qui ne perçoit de la musique que vibrations et percussions contraint également les musiciens à modifier leur corps scénique. Pour tenir en rythme avec elle, les corps se redressent, les regards s’ouvrent et se tournent vers la comédienne. D’ailleurs la place des musiciens habituellement en retrait de l’interprète a changé. Ici, ils sont à côté, ou plutôt aux côtés d’Emmanuelle Laborit. Rarement on aura vu dans un concert une attention aussi marquée. Les regards des musiciens souvent tournés sur l’instrument dans l’intériorité de leur musique s’ouvrent et s’adressent à Emmanuelle Laborit. Les instruments deviennent des repères comme des organes vivants qui lui envoient des signes vibrants et/ou visuels. Le corps des musiciens aussi s’engage pour devenir également un espace de jeu : pour interpréter Jolie-Môme, le groupe de garçons incarne un corps-chœur en jouant du mime et des percussions corporelles. Ce chant-mime, intermède léger après une séquence de chansons graves, sonne également comme un clin d’œil à la jolie Môme« toute nue sous son pull » qui se déshabille et change de costume en coulisse. 

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