Incipit de Une Bouteille à la Mer ( Proposition de Mina)
Introduction
A la manière d’une scène
d’exposition théâtrale, l’incipit d’un récit doit camper le décor de l’action,
faire découvrir au lecteur l’un ou l’autre des personnages principaux et
présenter l’intrigue essentielle.
C’est le cas de celui du roman Une
bouteille à la mer, écrit par Valérie Zenatti il y a une dizaine d’années.
En choisissant un début in media res, l’auteur nous plonge d’emblée dans un univers
à la fois ordinaire et terrible, celui de la ville de Jérusalem en proie aux
attentats palestiniens. En ayant recours au genre du journal intime d’une jeune
fille, elle nous fait vivre, minute par minute, cette tragédie. Enfin, d’une
manière touchante, elle nous fait partager la détresse de cette jeune
Israelienne face à l’horreur d’une violence aveugle.
I. A
JÉRUSALEM, UN SOIR D’ATTENTAT
L’incipit situe immédiatement le
récit dans l’espace et le temps : l’action se situe dans la grande ville israélienne
de «Jérusalem», un soir d’été, «le 9 septembre 2003».
Le lecteur découvre la vie d’une
famille par l’intermédiaire d’une scène banale : «Maman venait de me répéter pour la troisième fois d’aller me coucher».
Mais la ressemblance avec la vie
ordinaire s’arrête là car à cet instant une explosion se produit : «Une explosion venait de se produire.»
Dans le quotidien israélien, une explosion ne peut être anodine : «c’est forcément un attentat».
On comprend vite, hélas, que c’est
quelque chose d’habituel. En témoignent les réactions mécaniques de la famille
: le grand frère, Eytan, «est aussitôt
sorti avec sa trousse de secours», bientôt suivi du père, tandis que la
mère, «comme d’habitude», s’est mise
en quête d’informations, allumant «la
télé, la radio, Internet», «s’est
jetée sur son téléphone portable», faisant «comme d’habitude quatre choses à la fois». Autre indice de la
régularité des attentats, le lecteur a appris dès la deuxième ligne que «la peur est revenue».
Transition
Par ce début in media res, le narrateur
nous plonge dans l’horreur coutumière, celle vécue par les Israéliens en cette
année 2003. Cependant, en ces premières
lignes, celle-ci n’est narrée qu’à travers les perceptions du seul
narrateur-personnage.
II. UN
RÉCIT EXTRAIT D’UN JOURNAL INTIME
L’incipit est celui d’un journal
intime. Ainsi s’ouvre-t-il sur une notation typique de ce type d’écrit : «Jérusalem, 9 septembre 2003». De même
les évènements sont narrés à la première personne, les pronoms personnels «je», «me», et «moi» sont
récurrents : «j’ai cru», «maman m’a serrée dans ses bras», «j’avais trop peur de sortir de chez moi».
Il en est de même pour les déterminants possessifs de la première personne : «l’attentat a eu lieu dans mon quartier,
dans ma rue». Par ailleurs, les autres personnages sont désignés par «Maman», «Papa», «Mon grand frère»,
termes qui n’ont de sens que pour la narratrice. Enfin, si nous savons que le
narrateur est une narratrice ce n’est que par la marque orthographique du
féminin dans la proposition «Maman m’a
serrée».
La narration est effectuée selon le
seul point de vue du narrateur-personnage (point de vue interne). Ainsi la
jeune fille ne nomme-t-elle l’événement qu’une fois qu’elle a compris de quoi
il s’agissait. D’abord, «les vitres ont
tremblé» et «(son) coeur a fait un bond dans (sa poitrine)». Elle ne
réalise «qu’une seconde après» : «une explosion venait de se produire tout
près de chez moi». Le lecteur doit attendre le paragraphe suivant pour
comprendre ce qui s’est passé : «Une
explosion, c’est forcément un attentat». Plus loin, elle évoque «les sirènes des ambulances». Combien
sont-elles? On l’ignore, la narratrice ne les a «pas toutes comptées». Quant aux conséquences de l’explosion, le
lecteur n’en sait pas plus que la jeune fille, témoin auditif du drame : «Il y a certainement des morts.» A ce
stade du récit, on n’en saura pas plus que la narratrice car elle ne veut pas «savoir combien, ni qui.»
Transition
Si ce récit est typique de la forme
du journal intime, il est également effectué selon le seul point de vue de la
narratrice et au rythme des perceptions de cette dernière. Le lecteur n’a ainsi
que peu d’informations sur l’événement. Il en a davantage sur l’écho de
l’attentat sur la jeune fille.
III. UNE
EXPÉRIENCE TRAUMATISANTE
Il y a d’abord le choc physique : le
coeur de la narratrice a bondi si fort qu’elle «a cru qu’il était monté dans (sa) gorge».
Le choc émotionnel ressenti par la
jeune fille n’est pas immédiatement narré. Le récit fait d’abord une parenthèse
d’une dizaine de lignes sur les réactions de son entourage : tandis que les
hommes de la maison vont porter secours, la mère enserre sa fille «en pleurant», avant de se mettre en
quête d’informations. Le récit est alors plutôt neutre, recourant à une suite
de notations simples : le frère sort, le père le suit, la mère allume la
télévision, la radio et internet; autant de constats évoquant davantage un
procès verbal que le récit d’une tragédie se jouant en bas des fenêtres de
l’appartement. D’ailleurs, ce paragraphe s’achève sur une note d’humour. A
propos des gestes de sa mère elle écrit : «C’est
ce que j’appelle une réaction hautement technologique».
On retrouve un peu plus loin cette
mise à distance du drame lorsqu’elle évoque la possibilité de sécher les cours
du lendemain, «même si (elle) a un
contrôle de maths». En jeune fille de son âge elle se voit invoquer des
motifs possibles, «cauchemar» ou «chute de tension». «Il (lui) suffirait de dire que «l’attentat a eu lieu dans (son)
quartier», «Madame Barzilaï (la)
croira». Un certain humour participe encore de cet effort de mise à
distance. Ainsi lorsqu’elle compare les sirènes des ambulances au miaulement
d’un «chat qui aurait la queue coincée
dans une porte». Ou encore lorsque qualifie ironiquement l’attitude de sa
mère de «réaction hautement
technologique».
Mais le drame est bien présent, à
travers le «bruit horrible» des
sirènes, «un bruit qui déchire l’air et
les tympans». Et si la narratrice ne nous dit pas qu’elle est terrorisée,
ses réactions parlent d’elles-mêmes : elle «fuit
dans (sa) chambre», elle «ne veu(t)
pas savoir»; ni entendre peut-on ajouter, puisqu’elle voudrait «mettre le silence à fond». Et son désarroi
s’exprime alors par un aveu d’impuissance, sous la forme d’une question naïve :
«mais comment fait-on?» Les deux
premières lignes du récit prennent alors tout leur sens : «Ce sont des jours de ténèbres, de tristesse et d’horreur».
Ainsi, en dépit des tentatives de la
narratrice-personnage pour mettre à distance la tragédie, cette dernière est
bien présente, une nouvelle fois : «La
peur est revenue».
Conclusion
L’incipit d’ Une bouteille à la
mer invite le lecteur à partager d’emblée l’univers tragique d’un jeune Israélienne
confrontée à la brutalité aveugle des attentats. Nous le faisons par le seul
biais d’une narration volontairement restreinte aux seules perceptions de la
narratrice. Et avec elle nous aimerions mettre à distance l’horreur de la
situation mais, comme elle, ce ne peut être qu’en vain.
L’intérêt de cet incipit réside
probablement dans la simplicité du récit. La narratrice est une jeune fille ordinaire
dans laquelle un jeune lecteur, une jeune lectrice, pourrait se reconnaître,
avec ses envies de «sécher» les cours ou sa mauvaise volonté à aller dormir
bien que sa «maman» le lui ait
demandé «pour la troisième fois».
Comme elle aussi, sans doute, on voudrait «mettre
le silence à fond» si par malheur l’horreur devait se jouer au coin de
notre rue à nous.
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